Le cortège de la Saint-Torê, héritier d’une longue tradition estudiantine
Par Michel Péters (Historien)
12 Mars 2011
Le cortège du mardi de la Saint-Torê est l’héritier d’une très ancienne tradition estudiantine : les cortèges, sorties-collectes et autres cavalcades philanthropiques.
Dès le milieu du 19e siècle, alors que notre Université est à peine trentenaire, les étudiants donnent des sérénades, concerts accompagnés ou non de voix (chants) se faisant la nuit sous les fenêtres de quelqu’un que l’on veut honorer ou divertir.
Pour se rendre à la demeure du jubilaire, très souvent le Recteur de l’Université, les étudiants se réunissent et forment un cortège. L’existence de ces sérénades nous est souvent connue car elles occasionnent des « débordements » relatés aux autorités académiques par le Commissaire en chef de la Police ou encore le préposé à la collecte des droits de passage.
A cette époque en effet, lors du passage d’un pont, on est redevable d’un droit de barrière que les étudiants refusent bien évidemment d’acquitter en forçant le passage au pas de course, musique en tête… Frère-Orban, en supprimant ce droit de barrière, les sortira de l’illégalité.
A l’occasion de ces sérénades, le Recteur reçoit, en sa demeure, les délégations d’étudiants et leur offre quelques boissons, chose que l’on a bien mal à imaginer aujourd’hui…
Ces hommages connaîtront parfois quelques excès folkloriques : prise d’assaut de la maison du Recteur, ruée dans les appartements, pillage des salons, disparitions de bouteilles de champagne ou de vin, vidage de boîtes de cigares « avant que d’avoir parcouru un mètre », servantes inquiétées et caves « violées » font l’objet des récits enthousiastes des chroniqueurs estudiantins de jadis.
La célébration de la rentrée académique va évoluer lentement. Réunis place Cockerill et porteurs pour la plupart de lanternes vénitiennes, les étudiants se forment en cortège. En tête un corps de musique et le drapeau de l’Université, suivent les drapeaux des associations et les étudiants, casquettes verte, blanche ou noire uni ou multistellaires. Après avoir parcouru les quartiers du centre ou d’Outremeuse, le cortège se rend à la demeure du Recteur. La tradition de la « sortie de rentrée académique » prend cette forme vers 1890.
En 1871 cependant, la foire du boulevard d’Avroy voit ses dates modifiées.  Elle ouvre le premier dimanche d’octobre et ferme le premier dimanche de novembre, après la fête de la Toussaint. Ce changement permet aux étudiants d’inclure le champ de foire dans leurs pérégrinations nocturnes de la rentrée académique.
Avec le temps, les attractions deviendront le but unique de la sortie. Après la Première Guerre, la sérénade au Recteur est progressivement abandonnée pour la seule visite aux baraques foraines.  La « Sortie de rentrée » prend définitivement la forme d’une « Descente sur la foire » dont la dernière édition aura lieu en 1986.
Loin d’être les ancêtres de la collecte pour l’œuvre de la soif que pratiquent les étudiants actuels à l’occasion de la Saint-Nicolas, les cavalcades et sorties-collectes ont un caractère philanthropique. Au 19e siècle, l’inexistence d’une aide sociale publique et organisée entraîne la création de toute une série d’œuvres caritatives. Les étudiants liégeois organisent des collectes au profit d’associations qu’ils parrainent, mais aussi lorsqu’une catastrophe minière ou une inondation accable une partie de la population, liégeoise ou non.
La bienfaisance estudiantine s’exprime dès 1864 par l’organisation d’un concert, mais en 1878, elle prend la forme d’une cavalcade qui parcourt joyeusement les rues de la ville.
Sauf – c’est compréhensible – lorsqu’elles visent à collecter des fonds à la suite d’une catastrophe, ces sorties-collectes vont progressivement prendre place à un moment précis du calendrier, la mi-carême. A la fin du siècle, les cavalcades sont presque exclusivement données au profit de l’Oeuvre des Convalescents sans ressources créée par les étudiants en médecine en 1891.
Qui dit cavalcade dit aussi chars représentants les divers cercles participants. A travers le temps, on retrouvera les Ecoles Spéciales représentant l’industrie minière, la médecine représentant l’hôpital de Bavière, des carabins siégeant armés des nombreux attributs de leurs fonctions, des apothicaires du 15e ou du 16e siècle représentés par l’Association des étudiants en pharmacie, etc.
Les événements de la vie estudiantine seront aussi mis en scène comme ce char constitué d’une cage enfermant deux étudiants surveillés par un policier (1907).
La tradition reprendra après le premier conflit mondial, toujours au profit de l’Oeuvre des Convalescents.
En novembre 1947, écoeuré par le fanatisme anticlérical et le « minimalisme » folklorique de la Saint Verhaegen des étudiants de l’Université Libre de Bruxelles, André Fiévet, Président de la Commission Folklorique annexée à l’Association Générale, lança l’idée d’une fête estudiantine à l’Université de Liège où toutes les idées seraient respectées et où seul le folklore avait à gagner.
Il fallut attendre un peu moins de deux années pour voir cette festivité prendre son envol. Renouant avec l’usage du défilé de la mi-carême, le premier cortège de la Saint-Torê eut lieu le 17 février 1949. Le premier char annonçant fièrement « On collecte pour les Å“uvres de l’AG ».
A l’origine, le culte « torêbachique » se présente donc bien comme l’héritier des cavalcades caritatives.
Bien que la collecte en ait actuellement disparu et que les cérémonies soient organisées au mois de mars depuis 1983, la Saint-Torê actuelle en est également la descendante éloignée, par ses chars et le souhait des étudiants de marquer, dans leur ville, leurs différences.
Michel Péters
Historien de formation
Président d’Honneur de l’Association Générale des Etudiants Liégeois.