Gaudeamus Igitur : explication de texte

Gaudeamus Igitur : explication de texte

Par Julien Vandenbosch (CBB) et Sam Moinil (CBB)

De la brièveté de la vie, Gaudeamus Igitur, le Gaudeamus, voire encore « le truc en latin qu’on chante au début du cantus, là… ».

Autant de noms pour un chant omniprésent, que toute personne ayant approché le folklore étudiant belge a au moins entendu une fois dans sa vie.

Uniquement en Belgique ? Loin de là ! En effet, ce chant est à notre époque entonné sur tous les continents, et est considéré comme l’hymne officiel de nombreuses universités de la Suède à la Nouvelle-Zélande, faisant de celui-ci LE chant étudiant par excellence. Assez curieusement, la France et une bonne partie de la Wallonie semblent l’ignorer.

Historique

Si l’origine du Gaudeamus est clairement allemande, certaines corrélations avec d’autres chants, tel le Concinamus qui est lui d’origine anglaise, tendent à montrer que ce chant s’est internationalisé de bonne heure, ce qui provoquera de nombreuses variantes et modifications dont je vous parlerai plus loin.

Pour remonter à la source, si on analyse la structure des vers du Gaudeamus, on s’aperçoit que ce chant possède des caractéristiques typiquement médiévales et goliardiques, le rapprochant d’une œuvre telle que la Confession de l’Archipoète, qui remonte elle à 1161 !

Quant au Gaudeamus en soi, on retrouve dès 1267 les strophes 2 et 3 (cf. note 1°), sur une mélodie inspirée d’un hymne médiéval écrit par Strada, évêque de Bologne.

En 1717, on aurait déjà chanté les strophes 1, 2 et 3, et ce sur l’air actuel, comme le montrerait une traduction allemande mise en musique par Johann Christian Günther. Cette traduction commence par « Brüder, laßt uns lustig sein », qui signifie essentiellement la même chose que « Gaudeamus Igitur » pour les moins germanophones d’entre nous. Ceci dit, le couplage de l’air au texte n’est attesté qu’en 1738, mais tout porte à croire qu’il est en réalité antérieur à cette date.

Outre le manuscrit de 1267, la plus ancienne version latine écrite connue se trouve dans un chansonnier étudiant qui aurait été écrit entre 1723 et 1750. Néanmoins cette version diffère encore grandement de celle que nous connaissons.

La première apparition de la version moderne du texte latin se retrouverait dans le « Studentenlieder » (« Chansons d’étudiants ») écrit par Chrétien Wilhelm Kindleben et édité en 1781. Néanmoins, le document original reste introuvable, et on n’en connaît qu’une réimpression datant de 1894.

Le premier document imprimé connu de la mélodie actuelle est dans « Lieder für Freude der Geselligen Freunde » édité à en 1788 et il est probable que la première publication conjointe de la mélodie et du texte en latin remonte à l’opéra « Doktor Faust » présenté en 1797 à Brême.

La consécration viendra en 1880 lors de l’ « Akademische Festouvertüre » de l’université de Breslau, que Johannes Brahms clôture par un triomphal Gaudeamus. Depuis, ce chant a été repris de nombreuses fois de par le monde, que ce soit dans des opéras ou même dans des films.

Il est amusant de conclure cet historique en signalant que certaines sources prétendent que le Gaudeamus Igitur a été composé en Finlande en 1582. Une source italienne en attribue elle l’origine à un texte allemand du 16ème siècle écrit à l’occasion du mariage de Luther, qui serait lui-même une paraphrase d’un texte italien du 5ème siècle.

Traduction, analyse et variantes

Etant donné son âge vénérable, il est évident que le texte du Gaudeamus a été maint et mainte fois remanié et adapté et connaît à l’heure actuelle de nombreuses variantes.

Certaines de ces variations, comme nous le verrons, sont minimes et sans impact réel sur le message général, d’autres par contre sont de manière plus évidente des erreurs d’interprétation, voire carrément apocryphes.

Voici donc les strophes avec leur traduction la plus exacte possible :

1ère strophe :

Gaudeamus, igitur, juvenes dum sumus (bis)

Post jucundam juventutem

Post molestam senectutem

Nos habebit humus. (bis)

Réjouissons-nous, tant que nous sommes jeunes

Après une jeunesse agréable

Après une vieillesse pénible

La terre nous aura. (bis)

La première strophe, qui n’est pas la plus ancienne comme nous l’avons vu, entame de façon très cynique le chant par ce constat implacable : Il s’agit de profiter de la vie tant qu’on en est capable, la situation d’un être humain ne faisant que s’aggraver jusqu’à son dénouement inévitable. Si la lecture de cette strophe semble fort terre-à-terre de prime abord, on peut y voir de façon sous-jacente un autre message qui a été de nombreuses fois confirmé lors de banquets d’anciens étudiants : Tant que nous sommes vivants, gardons un esprit jeune et profitons de la vie.

Les strophes 2 et 3 sont souvent interchangées, mais comme nous le verrons, cela n’affecte pas trop le sens ni la chronologie du chant.

Strophe 2 :

Ubi sunt qui antes nos in mundo fuere ? (bis)

Vadite ad superos,

Transite ad inferos,

Ubi jam fuere. (bis)

Où sont ceux qui furent de ce monde avant nous ?

Allez jusqu’au ciel,

Traversez l’enfer,

Où ils ont déjà été.

La deuxième strophe pose une interrogation qui suit relativement logiquement l’affirmation de la première, à savoir « Que sont devenus nos prédécesseurs ? ». Ici, la réponse est plus cryptique mais semble signifier qu’ils ont fait le bien comme le mal, et qu’il y a une leçon à tirer de tout, que ce soit des bienfaits ou des erreurs passées.

On remarquera que cette strophe varie fréquemment quant à son vers final. Aux Pays-Bas et en Allemagne, il est en effet remplacé par « Quos si vis videre » et « Hos si vis videre » respectivement, ce qui signifie « Si vous désirez les voir », ce qui ne change pas réellement le sens de la strophe. Détail amusant, le dernier vers tel que nous le chantons (Ubi jam fuere) se présente toujours comme une affirmation, sauf dans deux cas, le Carpe Diem.

Strophe 3 :

Vita nostra brevis est, brevi finietur, (bis)

Venit mors velociter,

Rapit nos atrociter.

Nemini parcetur. (bis)

Notre vie est brève, elle finira bientôt

La mort vient rapidement,

Nous emporte atrocement.

En n’épargnant personne.

La 3ème strophe dresse un bilan tout aussi implacable de notre condition, du moins de sa conclusion. Si cette strophe semble tomber de manière un peu abrupte, il faut se rappeler qu’elle s’inspire d’un texte plus ancien et que les strophes suivantes lui sont postérieures. Néanmoins, elle s’imbrique selon moi bien dans le rythme du chant en ce sens qu’elle marque la fin de ce que j’appelle le premier cycle, celui dédié à la mort.

Strophe 4 :

Vivat academia, vivant professores, (bis)

Vivat membrum quodlibet,

Vivant membra quælibet,

Semper sint in flore ! (bis)

Vivent notre Faculté, vivent les proesseurs,

Vive chaque membre,

Vivent tous les membres,

Qu’ils soient toujours florissants !

La strophe n°4, dont la signification est relativement transparente et qui colle parfaitement à la thématique étudiante, semble avoir posé pas mal de problèmes aux traducteurs de différentes langues, puisqu’on retrouve des interprétations aussi farfelues que :

Que vivent tous les étudiants,

Que vivent toutes les étudiantes

Ou encore :

Que vivent tous les diplômés,

Que vivent tous les non-diplômés

Voire même :

Que vivent tous les membres (de la faculté),

Que vivent tous les membres du personnel

Pourquoi ne pas citer le service technique, les équipes Adiclean et les cuistots de la Sodexho tant qu’on y est ?

Seule la traduction espagnole semble avoir gardé une signification proche de la version latine. En effet, les 2ème et 3ème vers souhaitent une vie longue et florissante d’abord au membre de l’ « Academia » en tant qu’individu, et ensuite à tous les membres ensemble formant une unité.

Version espagnole :

¡Viva la Universidad, vivan los maestros!

Viva cada uno,

vivan todos unidos,

que estén siempre en flor.

Strophe 5 :

Vivant omnes virgines, graciles, formosæ ! (bis)

Vivant et mulieres,

Teneræ, amabiles,

Bonæ, laboriosæ ! (bis)

Vivent toutes les vierges, gracieuses, belles

Vivent aussi les femmes,

Tendres, aimables,

Bonnes, travailleuses !

La 5ème strophe évoque un thème aussi peu équivoque, célébrant la femme, jeune ou plus vieille, quelle qu’elle soit, bref la donneuse de vie et, ne le négligeons pas, pourvoyeuse de plaisir physique.

Pour ce qui est du GRACILES, Il existe une autre version, toute aussi ancienne, qui utilise FACILES en lieu et place de graciles.

Pourquoi l’une plutôt que l’autre ? Simplement le fait que graciles donne au final un texte plus cohérent, et permet une ambiguïté intéressante. Deux traductions sont dès lors possible, soit « gracieuses, belles », soit « maigres, pulpeuses ». Je vous laisse libre de choisir votre interprétation, soit gentleman, soit gros lourd qui ratisse large.

Strophe 6 :

Vivat et res publica et qui illam regit ! (bis)

Vivat nostra civitas,

Mæcenatum caritas,

Quæ nos hic protegit ! (bis)

Vive l’Etat et celui que le dirige !

Vive notre cité,

Et la générosité des mécènes,

Qui nous protège ici !

La 6ème strophe continue sur les réjouissances en célébrant le système politique en place ainsi que ses dirigeants, ce qui peut être compris de manière ironique en fonction des circonstances comme nous le verrons plus tard. La générosité évoquée des mécènes peut quant à elle peut également être prise au pied de la lettre ou encore au 2ème degré.

Ces trois strophes-là forment ce que je considère comme le deuxième cycle de ce chant, celui de la vie. Ils peuvent éventuellement s’interpréter de façon horizontale (l’étudiant qui célèbre son alma mater et l’apprentissage, les femmes et les plaisirs charnels, ainsi que leur insouciance rendue possible par d’autres gens qui gouvernent pour eux et d’autres qui les financent) ou de façon verticale (la vie d’étudiant qui se prolonge par le fait de fonder une famille et l’implication dans la vie de la communauté).

Si on se donne la peine à ce stade-ci de regarder de manière plus globale cette chanson, on peut constater que ma division en deux cycles n’est pas si foireuse que ça : Les trois premières strophes sont clairement axées sur le thème de la mort, et évoquent respectivement le présent, le passé et le futur, aussi sombres ou joyeux puissent-ils être.

Ensuite viennent les 3 strophes suivantes qui abordent trois aspects de la vie : la vie intellectuelle, la vie biologique, et la vie sociale.

Arrive ce que je considère comme la conclusion de ce chant.

Strophe 7 :

Pereat tristitia, pereant osores (bis)

Pereat diabolus,

Quivis antistudius,

Atque irrisores ! (bis)

Que périsse la tristesse, que périssent les haineux

Que périsse le diable,

Les ennemis de l’étudiant

Ainsi que les railleurs !

Aaaah, la 7ème strophe ! Là, c’est la catastrophe, on retrouve tout et n’importe quoi !

Dès le premier vers, certains traduisent osores par les ennuis, ce qui est un peu fade et ne colle pas trop avec le reste de la strophe, tandis que d’autres s’emballent et traduisent ça par prêteurs à gages… Personnellement, il me semble que l’interprétation la plus plausible est ceux qui haïssent, les étudiants étant alors sous-entendu.

La deuxième erreur communément commise concerne le 3ème vers, où on trouve régulièrement antiburschius. Cette version, qui est du latin de cuisine, nous vient d’Allemagne et signifie « ennemi des Burschen(schaften) », donc des (corporations d’)étudiants.

Si ce néologisme remonte à 1781, il était probablement destiné a être remplacé, en fonction du lieu et de l’époque, par un « chef détesté ». De nos jours encore, certains ne cherchent pas à comprendre, et s’obstinent à le retranscrire, généralement en omettant le s pour obtenir antiburchius, ce qui n’arrange rien.

Si l’on considère le Gaudeamus comme un chant à vocation universellement étudiante, il est dès lors plus logique de remplacer ce mot par un bon vieux antistudius généraliste et efficace.

D’autres enfin remplacent tout le vers par Patrie maledictus, « maudits par la patrie », ce qui s’éloigne également de la vocation actuelle du chant et serait à nouveau d’origine allemande. Les membres des Burschen(schaften) refusant le duel (la mensur) déshonoraient leur corporation et étaient bannis de cette dernière, le siège de la corporation étant la « Patria » en hommage à l’origine des corporation qui étaient des régionales.

En ce qui concerne le dernier vers, il est à noter que, probablement épuisés par l’effort, la plupart des traducteurs lui donnent comme signification « Et les autres », bardaf, emballé c’est pesé, fini de se fatiguer. Je vous propose de vous moquer silencieusement d’eux, merci.

Je ne m’étendrai plus longtemps sur cette strophe, car si on considère la traduction que j’en ai faite comme correcte, elle ne signifie rien d’autre qu’un pied de nez final qui peut se résumer par : « Et ceux qui sont pas content, allez vous faire voir ! »

Juste à titre informatif, deux strophes apocryphes :

Deus justos protegit, moransquamvis annos ;

Impiis irascitur,

Ad funesta sequitur

Nemesis tyrannos.

Pereant qui contra fas regnant ut leones,

Libertatis oppresores,

Terrarumque vastatores,

Pereant latrones !

Ces deux strophes sont quelque peu postérieures à la version de 1781, et n’avaient pour but que de renforcer la 6ème et 7ème strophe, de les remplacer.